Le grain des choses
par
Armelle Héliot
Laurence Trémolet a suivi le tournage des
“Âmes fortes” de Raoul Ruiz d’après Jean Giono
C'est un livre de photographies. Mais pas un livre
tout à fait conune les autres. C'est un reportage qui ne s'en
tient pas aux apparences, mais,
mimant le mouvement même qui était consubstantiel à l'écriture
de Jean Giono lorsqu'il composa Les Âmes fortes, cherche à saisir le secret
des êtres et des paysages en nous offrant toute « la profondeur de la surface ».
Laurence Trémolet a suivi le tournage du film
de Raoul Ruiz, durant l'hiver 2000-2001, film qui fut présenté
hors compétition en clôture du Festival de Cannes, l'an dernier.
Elle a suivi les comédiens, les techniciens, le maître d'œuvre,
se fondant dans l’ équipe, se faisant oublier, en quête de ces merveilleuses épiphanies qui
sont la sève lumineuse de ce voyage au long cours qu' est un tournage.
Son livre, un bel album qui ne se paie d'aucun mot (quelques
répliques, simplement, au fil des pages, mais rarement), réunit
des photographies en noir et blanc, noirs et blancs et gris devrait-on
dire, plus exactement, qui restituent l'atmosphère, les ambiances,
mais révèlent aussi quelque chose qui est de l’ordre d'une correspondance avec l'encre même de Jean
Giono. C'est là toute la réussite de ce livre que Laurence Trémolet
intitule |
Dans l'ombre des « Âmes
fortes » et dans lequel, par-delà les scènes de joie partagée,
de solitude, de concentration, de fantaisie, de recherche d'un cadre, on saisit sourdement
l'étrange alchimie au travail durant ce moment de suspens et d'hyper-activité
qu'est le temps du cinéma....
La
photographe, habituée des plateaux du septième art, a le
savoir-faire d'un reporter qui capture des instantanés plus éloquents
que de grands discours, mais elle a aussi l'intuition de ceux
qui fréquentent de près les acteurs. Elle les comprend et les
magnifie.
Aussi, par-delà les visages ou les silhouettes des interprètes
au premier rang desquels la fine et dense Laetitia Casta et aussi
Arielle Dombasle, Edith Scob, John Malkovich, Frédéric Diefenthal,
Charles Berling, Raoul Ruiz, bien sûr, et tous les autres, connus
ou anonymes artisans du film, c'est le grain des êtres, des choses,
le grain de la nature âpre et sauvage et qui pourtant réconcilie,
qui nous est offert.
Laurence Trémolet qui sait traduire en images immobiles jusqu'aux
mouvements des caméras, excelle dans le rendu des humeurs de la
terre, avivant d'une palette subtile les moirures des scènes d'intérieur
comme les grands cieux ombrageux de la Drôme, retrouvant ce qu'il
y a d'éternité dans le moindre nuage.
Un livre qui, silencieusement, exalte l'esprit même de l'immense
écrivain qu'est Giono comme celui de l’audacieux et imaginatif
réalisateur qu'est Raoul Ruiz.
Editions
du Collectionneur / Rezina. Prix : 38 euros.
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